12.2.14

Réussir son premier duel


Eléments de méthode à l’usage des jeunes gens

Il n’est rien de plus gai que de se lever tôt, un matin de semaine, pour rejoindre la voiture qui nous conduira aux abords de Paris, afin de se livrer à ce qu’on appelle pudiquement une rencontre. De l’exercice de la veille chez l’armurier Gastine-Renette aux pulsations qui nous brisent les tympans à l’« Armez ! » que hurlent les témoins, l’attention du duelliste n’a qu’un objet : l’adversaire qu’il toise jusqu’à ce qu’au « Tirez ! » un rideau de fumée blanche ne le fasse disparaître à ses yeux.
Si le duel est une rencontre entre deux hommes – mesdames, continuez à nous offrir de belles raisons de nous battre et attendez notre retour ! – il est d’abord et surtout une rencontre entre soi et soi. Serai-je suffisamment brave pour tenir fermement mon épée le moment venu ? Aurai-je assez de sang-froid pour qu’aucun mouvement réflexe ne vienne me couvrir de honte aux yeux de mes témoins ? Il est bien légitime que chaque jeune homme s’interroge à ce sujet.
Par bonheur, notre siècle reconnaît au duel le rôle de régulateur social qu’il dénie au droit. On imagine avec peine un homme digne de ce nom consentir à porter devant les tribunaux une affaire de mœurs ! Le ridicule ne serait pas sinistre si les avocats n’étaient gens à donner raison à l’amant sur le mari. Non qu’un mari ait toujours raison, bien au contraire : comment peut-il espérer reconquérir la femme qu’il a perdu en lui tendant le prononcé du jugement ? De même, l’homme du monde accompli se refusera à vider une querelle à coup de poings. « Sans duels, pas de salons, il n’y a que des cabarets » répétait le Maréchal Clauzel.
Telles sont les raisons qui nous amènent à notre propos. Point ne sera question des duels de curiosité, des combats à plaisances, qui divertissent les dames, ni des combats à outrance, communément appelés duels à mort. Nous parlerons du duel commun, de celui dont il faut se débrouiller quand une affaire survient sans crier gare. Chacun peut se sentir un petit d’Artagnan, il n’est rien de tel que quelques conseils bien sentis pour s’éviter de vouloir disparaître sous les mousses de la clairière un matin de rencontre. Aussi le lecteur aura-t-il la bonté de trouver dans ces lignes quelques conseils d’un aîné rompu à la chose pour bien mener son affaire. Pour les autres, pour les fâcheux et les ventripotents, la lecture de ces lignes se révèlera utile, tant il est vrai que le duel affine les mœurs comme la poésie le style.
Un duel réussi, tout comme une bonne histoire, commence par un début et se termine par une fin. Combien d’affaires mal commencées ont trouvé une issue traitresse? Combien de duels finirent sur un coup bas, pour la plus grande honte de leur auteur ? La carrière du brillant juif Meyer s’est terminée sur un coup d’épée. Quand Paris apprit que le directeur du Gaulois avait mutilé le publiciste Edouard Drumont en le frappant à l’entre-jambe, sa position s’effondra. Lui-même ne s’en remit jamais. Le duel est un curieux drame où les suites d’un geste bouffon sont tragiques pour ses acteurs.

L’insulte doit frapper juste
L’insulte est à ne pas rater. Il n’est rien de pire que les quelques mots bredouillés par une jeune tête qui brûle de courir la chance d’inutiles combats. L’insulte est pour ainsi dire la balle apéritive d’une rencontre réussie. Chatauvillard rappelle dans ses Lois du Duel que « c’est l’injurié qui est l’offensé ; mais que si l’injure est suivie d’un coup, c’est celui qui reçoit le coup qui est l’offensé. Quiconque touche, frappe ».
Messieurs les anglais, tirez les premiers ! Fille de l’astuce du comte d’Anterroche, la stratégie de Fontenoy permet de prendre l’avantage. Ainsi de Clémenceau qui répondait à Deschanel : « Un jeune drôle du nom de Deschanel s’est permis de baver sur moi à la chambre. Ce polisson procède par basses insinuations. M. Paul Deschanel est un lâche. Monsieur Paul Deschanel a menti ». Assurez-vous que votre adversaire comprenne de quoi il s’agit. Le Tigre insiste à dessein sur le nom de son adversaire. Les sévères épithètes que sont celles de lâcheté et de mensonge sont les amorces classiques qui toujours portent, surtout quand le billet est publié dans un quotidien à bon tirage. L’insulte en tant que telle n’est pas qu’une clause de style, c’est une politesse que l’on fait à un adversaire choisi.
Une insulte ratée est grotesque. Romancier falot, Jules Variot avait jugé bon d’attaquer vertement Paul Desjardins dans les colonnes de l’Indépendance. Ce dernier ne daigna pas répondre, mais céda la plume à son ami Jacques Copeau, de la NRF : « L’article n’est pas de saine polémique. Il n’est même pas d’une bonne encre de pamphlétaire. A défaut d’éloquence, une médiocre malignité ne parvient pas à échauffer ces pages. On y sent la petite main, le petit cerveau, le petit monsieur ». Variot s’estimant offensé demande réparation par les armes. Copeau refuse, « préférant qu’une occasion plus pressante [lui] soit offerte ».

Les témoins sont les ambassadeurs des parties
Une fois l’insulte constituée, l’offensé peut demander à obtenir réparation. Il nomme deux témoins et les envoie à son offenseur pour lui faire part de l’arme choisie. On hésitera entre l’épée et le pistolet, réservant le sabre aux Hongrois et aux officiers de cavalerie. Sauf exception, l’offenseur agrée et fixe les conditions du combat. Les exceptions ne sont pas nombreuses. Chatauvillard en donne quelques unes : « Les témoins d’un borgne peuvent refuser le pistolet », « les témoins d’un homme ayant perdu le bras droit [ou une jambe] peuvent refuser le sabre ou l’épée » (17, IV). Bref, c’est le bon sens qui dicte la règle du duel.
On laissera aux dandies de mauvais aloi les fantaisies en la matière. Sainte-Beuve se battait au pistolet sous son parapluie, arguant qu’il voulait bien « être tué, mais mouillé, jamais ! ». De même, pour ce qui est du choix des armes, la plus grande sobriété est de rigueur. On se souvient de ces hurluberlus qui échangèrent deux balles au dessus de Paris, chacun perché sur son aérostat. L’un d’eux est venu s’écraser, après que son ballon percé a décrit, dans un soufflement grossier, de curieuses arabesques.
Le choix des témoins, des armes et du lieu doit être fait dans les meilleurs délais. « Tout duel doit avoir lieu dans les 48h à moins d’une convention contraire de la part des témoins », rappelle le code. Dans l’intervalle, les témoins seront les avocats des adversaires. Une fois sur le pré, ils en seront les juges.

S’exercer au maniement des armes
Une fois les conventions passées, l’important est de se préparer. Un cartel ne vous tombe jamais dessus au meilleur moment, celui où l’on a les jambes assouplies par les fentes répétées sur le cuir des pistes d’escrime. C’est pourquoi les salles d’armes sont remplies de messieurs qui soignent leur mire, et sculptent leur garde. Pour l’épée, nous recommandons la salle de Maître Grisier, sise au n°4 de la rue du Faubourg Montmartre. Pour le pistolet, c’est chez Gastinne-Renette, le fameux armurier, au n°1 du rond-point des Champs-Elysées que Paris s’entraîne.
Si Armand C***, fort craint au Parlement pour l’usage meurtrier qu’il faisait de sa langue, de son épée et de son pistolet s’y rendait presque quotidiennement, ce n’était pas par caprice. Il ne s’y rendait qu’à la veille de ses duels, « pour se faire la main », comme il aimait à dire. C’est là qu’il cisela ce coup-de-la-veuve épatant, qui fit l’admiration des connaisseurs de son temps.

Au matin
Il est souvent difficile de trouver le sommeil à la veille d’un premier duel. L’agrément que le duelliste perd dans sa chambre doit être retrouvé à table, devant un solide petit déjeuner. Une fois sur le pré, ce sont les porcelets et les chèvres rôties sur lesquels il aura d’abord exercé sa lame qui le rasséréneront. De même, le duelliste songera à changer sa chemise et à se raser de près. Souvenons-nous avec quel soin Lyautey parfuma sa moustache à l’aube de son engagement contre Abdelkrim. On ne brave pas la mort la cravate de travers.
Le lieu du duel sera choisi avec soin. Fini le temps où le Roi permettait que l’on se batte devant le Louvre ou l’Hôtel de ville. La justice privée se rend désormais dans les cours et les jardins. Les abords de Paris fournissent à cet effet des lieux de rencontre aussi commodes que charmants. Le chic est de disposer d’une résidence altoséquanaise. Pour ceux qui n’ont pas cette chance, l’Hermitage de Villebon, à Sèvre, ou encore le bois de Boulogne fournissent des ombrages fort propices à la discussion.
Au cours de la rencontre, le duelliste peut heureusement se reposer sur ses témoins. Cette coutume est née de la nécessité : rares sont les hommes d’assez de sang froid pour agir tout à la fois comme partie, et comme maître de cérémonie.
Précisons que certaines initiatives sont à éviter absolument. La peur de l’estocade conduit parfois à prendre de singulières précautions : l’adversaire du sénateur Lavertujon s’était bardé le corps de quotidiens bon marché. Cela se sut, et le sénateur lui jeta, glacial : « Merci bien, je ne me bats pas avec un kiosque à journaux ! ». S’il va sans dire que ce genre de tour est pendable, gageons que nous les préviendrons davantage en le disant.
Bref, nul ne pouvant sonder vos cœurs, songez avant tout à sauver les apparences. A trop reculer devant l’épée de son offenseur, on s’expose aux rebuffades : « Vous nous quittez, monsieur ? Mes amitiés à votre femme ! ».

La grâce sera donnée par surcroît
Enfin messieurs, en guise d’envoi permettez-moi ce dernier conseil. Plus que toutes les terribles épreuves qui jonchent la vie d’un homme, le duel, par le courage et le sang-froid qu’il réclame, excite les mâles vertus qui font la gloire de la France. L’honneur, la fidélité au devoir, l’abnégation qui ne recule pas devant le sacrifice de la vie elle-même forgent des caractères rudement trempés sans lesquels les âmes les mieux nées s’étiolent et se fanent. Mais par dessus ces vertus, il en est une qui distingue le génie français de cette « homicidal austerity of mood » britannique ; c’est le panache ! Sûr de son poignet, confiant dans ses témoins, le bon duelliste trouvera toujours la ressource pour glacer son adversaire en lançant, désinvolte: « Garçon, deux pistolets et un café ! ».

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