16.12.12

Entrevue avec Kentin Jivek // décembre 2012


Festival Darkland fire III - photo : Gilles Pereira 

LDC : Bonjour Kentin et bienvenue au LVTETIA, nous te remercions du moment que tu nous accordes. Peux-tu tout d'abord te présenter en quelques mots à nos lecteurs ?

J'ai comme nom Kentin Jivek, compositeur et écrivain musical dans un style folk ambient, expérimental; j'ai toujours utilisé divers outils et ressources pour exprimer à partir d'instruments acoustiques une sorte de vision parallèle et réaliste de ce qui nous entoure au fur et à mesure du temps. Cela se traduit par une importante productivité, et aussi, je l'avoue, une chance de pouvoir tourner dans divers pays afin de montrer au mieux un style de musique qui a su parler à une certaine audience.

LDC : Il est vrai que depuis ton premier album La Maigreur Élégante, on peut compter pas moins de 6 albums studio, auxquels il faut ajouter EPs, singles et lives, le tout en moins de 5 ans. Comment expliquer une telle productivité? Peux-tu nous parler de ton parcours musical et de ce qui t'a conduit sur le chemin de ce folk expérimental ?

A vrai dire je ne trouve pas ça exceptionnel, il est juste important pour moi de garder un processus de création régulier, et cela afin de toujours proposer une suite constante au projet. Une chose en amène toujours une autre, et si on ajoute à cela la production studio en tant que telle, je trouve assez fantastique de pouvoir évoluer depuis l'écriture jusqu'à l'enregistrement des chansons. Envisager les choses et les créations en fonction de ce que je vis et par conséquent ce que vivent aussi les autres, la société. Bien que je m'inspire de conceptions parfois touchant à l'histoire, la psychologie ou bien encore le folklore, tout cela permet de mettre en lumière des notions de vie, des sensations. Au départ, "La Maigreur Élégante"; la chanson et l'album résulte de bon nombre de concerts réalisés en Espagne et dans le Sud de la France, beaucoup de travail en somme, étant donné que j'avais besoin d'acquérir certaines capacités à palper la réalité en chanson. Un grand développement personnel aussi, on a souvent des choses au fond de soit et le processus de création est indispensable pour bien maîtriser tout cela et donner le meilleur de soit, c'est à dire ce à quoi l'on croit.

La majorité des maisons de disques, alternatives ou mainstream, encore aujourd'hui refusent pour quelques raisons à me produire, car selon eux il y a trop de choses. C'est ridicule. Et je n'en veux à personne au final, la différence c'est que la visibilité est constante pour Jivek et je compte beaucoup plus sur une ou deux personnes pour diffuser le tout, car je sais que ce type d'audience comprend ce que j'exprime.

La majorité n'a jamais été à l'origine de succès pour un artiste et beaucoup ont été reconnus après leur mort. Je suis assez terrifié de voir certains groupes agir comme des marketers et produire un album avec une équipe totale en l'exploitant une, voire deux années durant, c'est assez médiocre à mon sens aussi. L'art ce n'est pas faire le travail de gens qui sortent d'école de commerce et encore moins de créer un espace merchandising alors que tu n'as fais aucune date. J'aime produire des choses, avec différents formats, et travailler avec ceux que j’aime et qui eux, savent faire des choses que je ne connais pas. Gilles sait créer des visuels, des vidéos, des photos et un univers qui va bien au delà des merdes que l'on voit exposer dans les galeries aujourd'hui. Ces gens gâchent les espaces artistiques et vendent du minable, et l’auditoire n'a pas besoin de ça, il a besoin de jouir en écoutant, ou en regardant les choses. Et vraiment la scène alternative a beaucoup baissé en terme de qualité libre, j'entends par cela, une totale liberté dans les créations. C'est plat et aseptisé.

Jane's addiction, et Stars Of The Lid sont véritablement mes groupes phares, je les écoute tous les jours et ils apportent toujours l'essentiel. Ce qu'il faut garder en tête c'est que les personnes en charges de projets dans les galeries ou les structures de booking ne sont pas objectives, elles ne peuvent pas diffuser ou permettre un niveau convenable et novateur, ou bien ce qu'elles aiment, il y a toujours quelqu'un derrière pour dire " Hey tu vas choisir ça, un point c'est tout", C'est pareil pour les concours, comme le fair et d'autres. Bref pour rester sur l'essentiel, il existe des groupes fabuleux et encore des opportunités mais ça se réduit.
J'ai été amené à produire ce folk expérimental suite à des rencontres et la volonté d'épurer les chansons. Arrivé à l'essence même de la composition en utilisant d'autres instruments pour créer de véritables ambiances, qu'elles soient olfactives, visuelles.

LDC : Jane's addiction est un bon exemple de groupe underground qui a connu le succès, mais cela semble en effet de plus en plus difficile. Tony Wakeford dans une interview parle d'ailleurs de l'apparition d'une culture "à taille unique" syndrome d"une pensée unique et globalisée...

Jane's Addiction, le groupe a réellement su garder son côté scénique fort avec certaines chansons qu'ils jouaient dans les années 90, et elles n'ont pas pris une ride; pour le coup, on a un groupe qui a peu d'albums mais 90% est exploité avec brio. Eric Avery, je suis très très fan de son album "Helps Wanted" aussi, même Polar Bear avec des chansons comme "Water"; après les raisons pour lesquelles il n 'y a pas le bassiste d'origine n'est pas notre problème.
Tony pour moi avec ses albums "Into The Woods" et "Oddities" a cela aussi, des chansons pures et simples dans la conception, et ça c'est quasi inexistant aujourd'hui. Ce n'est pas dire que la production est mauvaise en 2012 and co, mais plus dire aux groupes "Faites des chansons qui vous plaisent" et ne regardez pas si cette maison de disque indé, ou un soit disant publique va se rapprocher de vous parce que ça lui conviendra - quel est le but ? se taper des fans ou s'acheter une résidence secondaire? - pour ça il y a des psy et puis jouer et en vivre c'est un peu comme aimer une femme, vous ne lui dites pas mais vous le faites sentir et celle-ci vous le rendra si vous donnez l'impression de vous en foutre (en restant respectueux), elle vous aimera à sont tour si vous aimez votre personne et que vous faites les choses parce que c'est naturel sans remettre en question ce que l'on est au fond, il ne faut pas s'adapter mais rester authentique, il faut juste savoir ce que l'ont veut.

Le gros problème aussi c'est l'exposition constante aux médias et aux faux prescripteurs qui vous saturent d'infos et du matin jusqu'au soir. Avoir l'esprit libre et léger est essentiel. Totalement d'accord avec Tony, certains n'ont pas compris, et c'est sans doute une question d'éducation, les gênes - je suis issue d'une famille moyenne classe ouvrière qui s'est faite toute seule, cet héritage je le vois réellement aujourd'hui, le laxisme. Perry Farrell disait aussi "pour évoluer, partez de chez vous, prenez des drogues et n'ayez pas de famille à part dans la rue" malheureusement c'est râpé pour la génération Y, la drogue est infâme aujourd'hui.

LDC : A travers tes albums se mêlent des influences culturelles multiples un peu comme chez Dead Can Dance. Crois-tu au mélange des cultures ou défends-tu leur préservation ?

Je me rattache au folklore et autres repères historiques étant donné qu'on en a très souvent oublié la réelle signification, la définition de termes simples. Je crois plus à la sauvegarde des notions qui ont toujours permis aux hommes de survivre individuellement. A la préhistoire, un homme succombait s'il ne faisait pas parti d'un clan, ça ne veut pas dire qu'il ne pouvait pas évoluer sans eux, c'est la vie. Bon nombre de choses ont toujours été identiques, et ce depuis des millénaires.


Festival Darkland fire III - photo : Odile Rosey

LDC : Peux-tu nous parler des tes différentes rencontres et collaborations avec d'autres artistes ?

J'ai croisé Tony Wakeford et sur le Ship of Fools dans un premier temps sur Londres, par la suite nous avons gardé contact et j'ouvert pour lui à Oslo. Pour Miro Snejdr, j'aimais ce qu'il faisait comme arrangements sur les chansons de Death in June, et donc nous avons échangé à ce niveau puis travaillé ensemble, nous apprécions le travail de l'un et de l'autre.
Nicolo Pelizzon qui vit en Italie est l'auteur du livre "The Anatomy Lessons", et il m'a demandé s'il pouvait utiliser deux chansons pour ce dernier, je lui ai dis qu'il serait très agréable de faire une chanson, un single et l'inspiration est venue naturellement.
Mirt, un musicien incroyable, avec qui j'ai joué à Poznan en Pologne, il ne travaille qu'en analogique qu'il crée lui même, nous avons produit deux chansons, et des vidéos du concert sont disponibles sur Youtube. A voir quel type de collaboration par la suite, ça arrive naturellement. Rien n'est vraiment décidé à l'avance.

LDC : Tu es monté sur scène à Paris il y a un mois avec Moon Cat et Duo Noir. Avec tous les concerts que tu as donné un peu partout en Europe (Allemagne, Norvège, Grèce, Portugal, Suisse, Roumanie, Pologne...) quelles comparaisons peux-tu faire avec la scène française ? Gardes-tu des souvenirs en particuliers ?

Je pense véritablement que la période d'il y a encore un an était très positive pour tout le monde, ça devient assez difficile de booker des choses. Dans tous ces pays, il y a eu du bon, tout le temps. Poznan et la Grèce étaient les plus réactifs. Le concert d'il y a un mois était vraiment le meilleur pour Paris, à tous les niveaux et très agréable pour tout le monde.
Une chose en amène toujours une autre et le festival en Estonie la semaine prochaine s'est présenté pendant que nous étions à Poznan à la Fabrika.
Malheureusement je regrette que certaines salles aient fermé entre temps ailleurs - l'Europe a du bon comme du très mauvais - je ne suis pas très partisan de ce système, mais il a en même temps permis des échanges entre nous tous, et ça c'est superbe.
La Scène française est très formatée, il manque de clubs underground ou même clandestins, cependant il y a récemment des endroits très sympas qui ont ouverts à Pigalle, je passe beaucoup de temps là bas. Après, nous avons toujours plus collaboré avec des groupes hors France, il y a un problème d'égaux un peu partout, mais je regrette que certains se plaignent de ne pas trouver d'endroits où jouer. Il suffit juste de prendre à l'avance un billet et de partir, après avoir discuté avec les personnes, c'est toujours une question de partage; il faut emprunter des chemins de traverses, et parler au moins deux langues est essentiel.
Nous organiserons d'autres choses ici avec MoonCcat, c'est quelqu'un d'admirable... Je sors peu dans les salles majeures, dernièrement je suis allé voir Eiffel et Peter Murphy, sinon Sunn O))) à la gaîté lyrique et Fire + Ice.



LDC : En effet beaucoup de tes textes sont en espagnol et en anglais. Umberto Eco, l'auteur du Nom de la Rose a dit: "la langue de l'Europe c'est la traduction". Si le système actuel laisse à désirer, toujours est-il que pour penser des textes dans ces autres langues il faut avoir une certaine conscience européenne non? Ou alors y as-tu seulement trouvé des portes à la créativité ?

Je ne suis pas un carnivore créatif, très jeune j'ai bougé dans différents pays et les choses sont venues naturellement, j'ai toujours eu à l'esprit que l'art que je faisais devait être nourri par ce qui m'entoure. Ma nature est celle d'un homme qui ne réfléchit pas et qui compose après avoir été séduit. Cela en évitant de faire comme la plus basse nature masculine, c'est à dire raconter des conneries - j'accuse les hommes de ne pas avoir suivis leur propre identité et de créer un chaos ridicule. Rien n'est jamais acquis même si on le pense, il faut continuer toujours - et ça c'est intemporel, si quelqu'un se repose après quelque chose de réalisé, il est mort spirituellement.

Je n'ai et je n'ai jamais eu le choix que de demander et je continuerai à le faire pour des choses à des personnes dont j'admire les écrits ou le travail. "Six Diamonds", le prochain album répond à beaucoup de questions comme celles-ci, c'est à dire "jeu et stratégie". La conscience européenne est de connaitre ou de se rappeler des valeurs, l'étique. On ne peut pas bâtir un nouvel empire sur des bases récentes qui ont oublié les valeurs dont chacun a besoin. Ce que je peux dire c'est qu'il ne faut pas "imaginer" en ce qui concerne les cultures en Europe. Il faut bouger et voir; pour ça il faut le vouloir. La fainéantise et la fabulation n'aident à rien. Il faut garder à l'esprit que nous avons beaucoup de chance dans cette partie du monde.

LDC : Sans gâcher la surprise, peux-tu nous en dire un peu plus sur "Six Diamond" ton prochain album ?

"Six Diamonds" est en phase pour contenir une grosse quinzaine de chansons, le nombre est important puisqu'il sera varié - "Third Eye" était plus brut, donc il était temps de revenir à quelque chose comme "Ode To Marmaele" en terme de productivité mais avec l'évolution voulue. L'utilisation artisanale des claviers est la direction première pour la composition; ce qui prend plus de temps que de réutiliser vulgairement des banques de sons déjà existantes. Ensuite le thème recoupe "la théorie des jeux" avec des notions provenant du New Age, le Channeling. L'objectif étant d'atteindre un état de plénitude; concevoir cet album est une véritable passion, encore plus qu'avant. Je vais enregistrer dans trois studios différents, et optimiser le tout avec plusieurs configurations analogiques, ceci afin d'obtenir des textures qu'il sera possible de réellement sentir à l'écoute, au casque. Je donne souvent des indications sur Twitter, et visuels divers sur le blog Tumblr. Trois chansons déjà finalisées à l'instant où je t'écrie, le reste est déjà en place mais je laisse venir les idées en cette période si intense et déroutante à la fois. Il doit coller à ce qui se passe. et ce qu'il en adviendra.

LDC : Nous arrivons à la fin de cette entrevue As-tu un mot à ajouter ou un message à adresser à ceux qui liraient ces lignes ?

En espérant vous croiser sur la route - Merci à toi pour cette interview -

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