1.12.11

Le dandy n’est pas une poupée parée de vêtements étranges et précieux ...


DANDY, mot galvaudé. Mot à la MODE – ce qu’un dandy n’est JAMAIS. Tel ne fut pas toujours le cas : au début du XIXe siècle, dandy désignait un jeune homme assez vide, se distinguant peu ou mal du fashionable – hormis qu’il ajoutait à son obsession de l’apparence un mépris du savoir vivre. Stendhal dans De l’amour, publié en 1822 : les dandies sont « des espèces de jocrisses qui ne savent que bien mettre leur cravate et se battre avec élégance au Bois de Boulogne. » Chateaubriand, évoquant dans les Mémoires d’outre-tombe le fashionable en 1822 : « (Il) devait offrir au premier coup d’œil un homme malheureux et malade ; il devait avoir quelque chose de négligé dans sa personne, les ongles longs, la barbe non pas entière, non pas rasée, mais grandie un moment par surprise, par oubli, pendant les préoccupations du désespoir, mèche de cheveux au vent, regard profond, sublime, égaré et fatal ; lèvres contractées, en dédain de l’espèce humaine ; cœur ennuyé, byronien, noyé dans le dégoût et le mystère de l’être. » Balzac dans le Traité de la vie élégante, publié en 1830 : « Le dandysme est une hérésie de la vie élégante… En se faisant dandy, un homme devient un meuble de boudoir, un mannequin extrêmement ingénieux qui peut se poser sur un cheval ou sur un canapé, qui mord ou tète habilement le bout d’une canne ; mais un être pensant ?... jamais. »

C’est BARBEY d'AUREVILLY et BAUDELAIRE qui donneront au dandysme ses lettres de noblesse. Avec eux, le dandysme se nimbe de SPIRITUALISME. L’habit n’est plus une fin mais un moyen. On le charge de matérialiser l’invisible. Barbey écrit dans Du dandysme et de George Brummell, publié en 1845 : « Les esprits qui ne voient les choses que par leur plus petit côté, ont imaginé que le dandysme était surtout l’art de la mise (…) c’est cela aussi ; mais c’est bien davantage. Le dandysme est toute une manière d’être. » Baudelaire renchérit dans un chapitre du Peintre de la vie moderne, publié en 1863 : « Le dandysme n’est (…) pas, comme beaucoup paraissent le croire, un goût immodéré de la toilette et de l’élégance matérielle. Ces choses ne sont pour le parfait dandy qu’un SYMBOLE de la supériorité aristocratique de son ESPRIT. » La conception du dandysme fixée par Barbey et Baudelaire n’a plus cessé de prévaloir. La littérature qu’on a consacrée depuis au sujet est abondante mais on y chercherait en vain une théorie nouvelle.

Le dandy est un être à part. Selon sa personnalité, il cultivera l’invisibilité d’un Brummell ou l’excentricité d’un Wilde. Dans les deux cas – ou porter des vêtements dont la sophistication raffinée se dérobe aux yeux du profane ; ou attirer l’œil par des tenues excentriques -, l’objectif est le même : TENIR LE COMMUN A DISTANCE.

Dandy et dandysme : nos magazines – de mode et les autres – mettent ces mots à toutes les sauces. Leur sens importe peu. Ce qui compte, c’est le chic qui s’en dégage. Et l’on se croit chic à son tour en les utilisant. Parmi les perles du dandysme que je me suis amusé à collectionner, en voici deux – de culture... ou d'inculture. François Busnel, à propos de Régis Debray : « Il y a là une manière d’être au monde qui fait de Debray un authentique dandy : il stylise la vie, il joue avec le langage*. » Christophe Barbier, à propos du père de Nicolas Sarkozy : «aristocrate libertaire, flamboyant égoïste, séducteur impénitent tiré à quatre épingles, pli de pantalon et sourire impeccables, cambrure vigilante de danseur et pupille incandescente de dandy*. »

- Le port d’un accessoire ostensible et anachronique – la lavallière par exemple- ne suffit pas à faire d’un homme un dandy.

- Réduire le dandysme à un souci exagéré de la toilette, c’est revenir à la conception négative qu’on en avait au début du XIXe et faire comme si Barbey et Baudelaire n’avaient pas traité du sujet. Non, le dandy n’est pas une poupée parée de vêtements étranges et précieux. Le modeux est peut-être l’héritier du gommeux. Mais, à coup sûr, il n’est pas un dandy.

- Un dandy n’a que faire de la reconstitution historique. Il n’est pas un pasticheur et encore moins un parodiste. Il ne se costume ni ne se déguise : IL S'HABILLE. Quand Barbey commande en 1885 une redingote à la mode de 1830, c’est par fidélité à son style, adopté dès sa jeunesse. Mais ce nostalgique du XIIIe féodal ne sortit jamais en heaume et en cotte de mailles !

- Le dandysme est une manière d’être faite d’INDEPENDANCE, d’IRONIE, d’IMPASSIBILITE. Le dandysme, c’est l’unicité. Là où il n’y a pas une puissante personnalité, il ne peut y avoir de dandysme.

Peut-on encore être dandy ? La marée montante de la démocratie, qui envahit tout et qui nivelle tout, noie jour après jour ces derniers représentants de l’orgueil humain et verse des flots d’oubli sur les traces de ces prodigieux mirmidons , a écrit Baudelaire. Sauf à admettre – comme on voudrait nous le faire croire – que la démocratie libérale signe la fin de l’histoire, il est permis d’espérer que le dandysme n’est pas mort. Mais qui sont et où sont les « prodigieux mirmidons » miraculés du tsunami* ?

//////////////////////////////////////////////////////////////////////////
* L'Express, n° 3064.
* Sur le sujet, on peut aussi se reporter à ce billet.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Membres