6.5.11

Bafwakwandji



« Bafwakwandji. C’est un nom que je ne prononce jamais sans un pincement au cœur. Le Congo, pour moi, cela n’a pas été une idée, mais un domaine. Mon domaine.

La plantation (...) m’avait été cédée par un ancien colon, dégoûté de n’avoir pu y réaliser tous ses rêves. Il y avait beaucoup de travail à Bafwakwandji. C’est ce qui me plaisait.

Ma plantation était située au kilomètre 212, sur l’axe routier de Stanleyville à Bafwasendé. En plein cœur de cette Province-Orientale qui allait devenir une des plus sanglantes du Congo de la rébellion.

Quand j’y suis arrivé, c’était un paradis. Cadre splendide et climat salubre, tout annonçait un avenir plein de promesses.

J’appréciais que mon domaine soit situé à l’écart de la grande route. J’avais mon allée d’accès particulière : douze kilomètres pour moi tout seul… La forêt formait une voûte ininterrompue au-dessus de cette allée et il fallait franchir onze ponts pour parvenir chez moi.

La propriété se trouvait sur un vaste plateau, découpé dans une immense végétation sauvage ; Au milieu de la forêt vierge, Bafwakwandji apparaissait comme un îlot de culture et de paix ; 220 hectares de café, 120 hectares de caoutchouc, 120 hectares de cacao, 900 hectares pour les palmiers, mon domaine semblait vaste comme une province.

Au centre de la propriété, un ensemble de bâtiments réunissait hangars et résidences. Deux maisons merveilleuses se dressaient au milieu de vastes pelouses impeccablement tondues. Des fleurs tropicales et des arbres fruitiers mettaient partout des notes de couleurs vives.

Station d’agriculture et d’élevage, mon domaine comportait l’indispensable atelier de réparation. Souverain absolu de ce royaume, je devais mettre la main à la pâte et il m’arrivait bien souvent de faire le mécanicien. Couvert de cambouis, j’étais alors plus noir que tous mes Noirs. Et ils riaient aux éclats. En parlant avec eux, j’avais appris leurs langues – il en existe au moins deux : le swahili, qui est de lointaine origine arabe et sert de langue passe-partout au Congo ; le lingala qui est une langue synthétique et artificielle ; composée en Belgique, elle ne comprend guère plus de cinq cents mots.

A vingt-sept ans, je possédais près de 1500 hectares et je commandais à plus de mille ouvriers. Pourquoi cacher que j’étais heureux ? Profondément. J’étais vraiment un Africain. La race indigène était celle des Babalis, connus autrefois comme les fameux « hommes-léopards ». Ils m’avaient adopté et me répétaient souvent : – Toi aussi, tu es un léopard ! »

Jean Schramme , 1969 – Le bataillon Léopard

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